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J’ai mon Certif !
Comme le disait mon père qui était un cantonnier truculent et lettré à l’époque où le bac se passait en deux parties : « Moi j’ai mes deux parties, mais elle ne sont pas de Bach ! ». Bon, je ne sais pas si cet examen sert aujourd’hui à grand-chose vu son niveau qui manque singulièrement de hauteur. Quand j’étais petit, nous avions, nous, un examen qui était sacrément dur : le Certificat d’Etude Primaire. Je le mets avec les premières lettres en majuscule car il le mérite et la bêtise a été, à mon sens, de l’avoir supprimé.
Ce n’est pas que j’étais bon élève à la communale. Jusqu’à la classe du « certif », comme on disait alors, j’ai souffert d’un syndrome d’enfermement qui me rendait très dissipé, et nos bons maîtres, las de me tirer les oreilles, me fichaient à la porte pour ne me faire revenir que 5 minutes avant la sonnerie annonçant la fin des cours. Je vous l’ai déjà dit, je crois dans un autre billet, ces ostracismes m’ont été extrêmement avantageux. J’en profitais pour aller courir dans les champs et m’initier aux mystères de Dame Nature. Or en Savoie, au pied de nos chères montagnes, il y avait tant à apprendre. Naturellement, mes bulletins scolaires exprimaient clairement mon absence totale d’intérêt pour Charles Martel, Philippe Auguste ou François Premier, mon indifférence absolue pour le goutte-à-goutte des robinets fuyant, ou pour Tegucigalpa que j’ai été très ému de découvrir quarante ans plus tard car enfin j’y étais dans cette inaccessible capitale du Honduras de mon enfance. Seule la poésie trouvait grâce à mes yeux et surtout le grand La Fontaine dont je peux, aujourd’hui encore, réciter les fables de mémoire. Bref, j’étais toujours l’avant dernier de la classe, le dernier étant mon meilleur ami Jean Villard que j’avais connu dès l’âge de 4 ans dans un orphelinat qui nous avait accueillis au début de la guerre pour soulager, en l’absence des pères, nos mères malades ou impécunieuses.
Il s’est trouvé qu’en première, le maître, Monsieur Verdun, avait scolarisé son fils dans la même classe que nous et ce « chouchou », du moins c’est ainsi que je le percevais, était toujours premier à la fin du mois. Un sentiment d’injustice m’a alors envahi. Je vais le battre ce salopard me suis-je dit.
Terminé l’école buissonnière, les grandes balades en forêt, les rêveries solitaires sur le chemin de Jean-Jacques aux Charmettes. Le soir, je m’enfermais dans le grenier de notre bicoque à loyer très modéré pour de pas entendre la radio que mon père, malgré les protestations de ma mère, écoutait à plein tube. Et je bossais, bossais, bossais… J’appris tout par cœur : 732, La défaite des Arabes à Poitiers, ce qui ne les a pas empêchés de revenir ; 1214, La victoire de Bouvines sur les troupes de Jean sans terre et du Saint Empire. 1515 la victoire de Marignan sur les mercenaires suisses qui défendaient le duché de Milan. Quand aux fuites d’eau elles n’eurent plus de secret pour moi et j’aurais pu en ouvrant les vannes inonder toute la vallée de Chambéry. Je devins un expert des capitales mondiales et des départements français, et aurais pu disserter des heures sur Emile Verhaeren et sa péniche naine que le batelier promène par les canaux…
Bref, au bout de 4 mois j’accédais au titre, jusqu’alors inaccessible pour moi, de Premier de la classe. Le fils Verdun était deuxième et jean Villard, avec lequel je partageais le même pupitre, troisième. Je passais le Certificat d’étude primaire haut la main, raflant au passage les premiers prix de dissertation, d’histoire et de géographie, laissant le prix d’arithmétique à mon concurrent direct. Quant à Villard il était lui aussi dans le peloton de tête. Alors, comme le disait si bien mon père : J’ai mes deux parties. Elles ne sont pas de « Bach », mais j’ai mon CERTIF ! Vivaaaaa !