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C'est madame Giselle elle même qui m'a raconté son histoire. Pour ce qui est de sa réputation d'avoir eu ensuite "la cuisse légère" je la tiens des deux autres joueuses du "qui baise qui?"

Il y a une trentaine d’années, j’ai connu à Pont sur Yonne une dame âgée qui se baladait toujours avec sa chienne chiwawa, une petite peste qui aimait me pincer très fortement les bras ou les mollets dès que je m’approchais un peu trop d’elle. J’adore les bêtes mais celle-là, qui m’attaquait à chaque fois par surprise, j’ai eu maintes fois envie d’en faire des boulettes pour chat.

Nous surnommions sa maitresse « Madame Giselle ». Avec une autre veuve retraitée qui avait été jadis pharmacienne, Odette K…, elle venait à l’heure du Thé chez la maman de ma compagne, que j’appelais affectueusement « la petite mère ». Ainsi rituellement rassemblées, les trois respectables aïeules aimaient jouer à « qui baise qui ? ». A les écouter j’en arrivais à penser, les cocuages allant bon train, que Courlon, ce petit bourg en apparence si paisible, n’avait rien à envier à Sodome et Gomorrhe. L’une des grandes pècheresses d’alors était la boulangère qui, à les entendre, avait un tempérament aussi brûlant que le four de son brave mari.

Mais revenons à Madame Giselle. Pendant la guerre, elle tenait avec feu son époux, Joseph, une guinguette au bord de l’Yonne où se retrouvaient les pêcheurs, les mariniers, les retraités et les notables du coin. C’était le temps des vaches maigres et en vue d’améliorer l’ordinaire dans un futur proche, le couple avait fait l’acquisition d’un tout petit cochonnet qu’ils surnommèrent Adolph, en référence à Hitler qu’il voulait identifier à ce porc. C’est dire si tous deux n’avaient pour l’animal pas l’ombre d’une compassion. Or, ce fut à Giselle qu’incomba la mission de le faire grossir. Comme il était squelettique, au début elle l’alimenta à l’aide d’un biberon en le tenant comme un nouveau né tendrement dans ces bras. Au fil des jours, cette femme plutôt rustique qui n’hésitait pas à saigner elle même poulets et à dépiauter les lapins pour les mettre à la casserole, s’y attacha au point d’en oublier que ce n’était qu’un cochon. Elle se mit à le fixer avec les yeux embués de tendresse d’une maman contemplant sa progéniture. La bête profita. Elle aussi adorait sa mère nourricière et la suivait pas à pas. Quand Joseph voulut l’enfermer dans un cagibi pour ne pas incommoder la clientèle par les grognements satisfaits et les familiarités du goret, elle s’y opposa catégoriquement. A Courlon, les gens prirent l’habitude de la croiser dans les rues avec, derrière elle, son inséparable Adolph, cible de regards pleins de convoitises voraces. Le goret devint un puissant verrat qui se comportait en terrain conquis dans l’auberge, n’hésitant pas à venir solliciter la clientèle avec son groin pour obtenir les restes de leurs assiettes mais, en cette période de restriction, les restes étaient rares et le cochon exprimait alors son mécontentement par des cris de colère qui faisaient peur à tout le monde, sauf à Giselle, laquelle pour le calmer lui faisait lécher ses fonds de marmites. Un jour, pour des questions administratives, elle dut se rendre à Sens à bicyclette. Quand elle revint, plus d’Adolph. En revanche, comme c’était l’heure du repas, Joseph lui servit une belle côtelette croustillante entourée de pommes de terres rissolées. Son visage devint d’une pâleur mortelle. Elle se leva de table, braqua sur son époux un visage plein de haine et de dégoût.

- Assassin ! ragea-t-elle comme s’il avait commis un impardonnable infanticide.

A dater de ce jour elle fit chambre à part, mais pour se venger, elle ne négligea pas les aventures éphémères dans les granges alentour avec des galants de passage. Les rumeurs la concernant circulaient d’une oreille à l’autre. On murmurait qu’elle avait « la cuisse légère » et cela depuis que le Joseph avait tué Adolph pour en faire des cochonnailles…

 

 

 

     

 

 

 

Légère, pour l'amour d'un cochonLégère, pour l'amour d'un cochonLégère, pour l'amour d'un cochon
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