Allez, un dernier souvenir de Bichat pour la route. Quand vous êtes en observation, vous vous partagez entre votre lit et les brancards qui vous emmènent aux examens. J'en ai emprunté plus d'un qui m'ont conduit à plusieurs reprises par des couloirs dédaléens et parfois glaciaux vers les salles de scanners, de doppler, d'échographies, d'IRM, d'ophtalmologie et j'en passe. La fonction de brancardiers est très particulière. Ils ou elles, sont tous regroupés dans une grande salle circulaire de verre, près des ascenseurs. Elle ressemble à une gare de triage d'où ils peuvent partir dans toutes les directions. Quand on les appelle pour venir chercher un patient, leur célérité est guidée par l'urgence. Si le malade n'est pas dans une situation critique, ils peuvent continuer de finir tranquillement leurs papotages avant de songer à le reconduire dans sa chambre, moyennant quoi, on peut passer de longs moments dans des « parkings à malades » entre des muets endormis, des râleurs éveillés et des indifférents stoïques dignes du cher Epictète.
Un hôpital comme celui-ci, c’est une ville, essentiellement composée de trois catégories de citoyens : le personnel soignant, les nettoyeurs appelés désormais les techniciens de surface, et les malades. A la tête de chaque grand service il y a un professeur, un Pacha. Quand il se déplace il est entouré d’une nuée de blouses blanches – médecins chefs de secteurs, internes, externes, stagiaires – qui s’agglutinent autour de lui comme des courtisans autour d’un roi. Le but, si vous êtes un malade avisé, c’est qu’il vous regarde et que vous trouviez habilement, entre les ponctuations de celle ou de celui qui parle à votre place, le temps de glisser quelques mots, intelligents de préférence. Ses yeux, jusque là fixés sur les dossiers se porteront sur vous et vous pourrez, si vous maniez relativement bien le verbe, avoir un échange bref mais fructueux avec lui. Si de surcroit vous parvenez à le faire sourire, alors c’est gagné. Quand il aura quitté les lieux, le personnel sera aux petits soins pour vous. Bref à l’hôpital, comme dans toute autre entreprise humaine, la courtisanerie, qu’au fond de moi, je réprouve, fait partie des habitudes.
Il me souvient précisément, à TF1, de l’attitude des usagers de l’ascenseur quand Patrick Lelay, le PDG, y entrait à l’improviste. C’était comme si sa fonction décuplait son volume. Les gens s’aplatissaient contre les parois pour lui laisser plus de place. Observant cela je pensais souvent à « L’homme unidimensionnel » d’Herbert Marcuse qui avait été la bible des soixante-huitards de la sociologie de Nanterre. Eh oui, je les voyais, sous mes yeux, ces humains décrits dans le livre du philosophe germano-américain. Je les voyais devenir aussi minces que des limandes, se muer en plaques sensibles, à même de laisser se graver en eux les composants du système qui en ferait à leur insu des êtres totalement conditionnés.
Bon, mais revenons à Bichat. Un dernier petit poème composé en attendant de passer sous iode un scanner du cerveau et des yeux.
Scanner
Des couloirs, des couloirs, des brancards.
Des vivants, des gisants, des malades.
Me voici parqué dans un hangar.
C’est la fin de la promenade.
Tic ! tic ! tic ! J’entends le son d’un cœur
Qui trace ses pulsations
Avec une consciencieuse lenteur
Sur l’écran d’un ordinateur.
On s’agite aux alentours
Et dans les hauts parleurs
La voix tendue d’un soigneur
Réclame des secours.
C’est un appel d’urgence.
Il y a quelqu’un qui meurt
Où qui est en souffrance.
Par ici ou ailleurs ?
Et s’égrènent les heures
Les silences pesants
Ponctués d’affolement
Et de cris de douleurs.
Dans mon réduit désert
J’attends pour le scanner…
JB