Cette nuit j’ai fait un drôle de rêve. A mon réveil j’ai eu quelques hésitations. Cette étrange parabole était-elle un bon rêve ou un mauvais cauchemar ? Je me pose encore la question.
Le petit Caporal
Cette nuit donc, je suis passé aux Invalides et me suis arrêté devant le tombeau du général "Buonaparte" qui était trop occupé pour me recevoir. J’ai cru comprendre qu’il s’efforçait de lever une armée d'âmes mortes. Pour l'heure, il ne veut pas communiquer de crainte que ses intentions ne soient percées à jour.
- Vous étiez journaliste m'a dit Caulaincourt qui rôdait dans les parages, et l'Empereur se méfie des folliculaires.
- L’Empereur, vous avez dit l'Empereur, le repris-je. Je le croyais guéri de ce rêve mégalomaniaque.
- Mais il l'est, mon cher, il l'est, m'a affirmé le fidèle d'entre les fidèles. D'ailleurs il ne veut plus qu'on l'appelle autrement que le « petit Caporal » et son ambition actuelle est de propager dans le monde entier les idéaux de la république française. Ecoutez le chanter si vous ne me croyez pas.
En effet, en prêtant attentivement l'oreille j'ai entendu monter de sa tombe un chant interprété avec un fort accent corse.
« La république nous appelle sachons vaincre et sachons mourir. Un Français doit vivre pour elle. Pour elle un Français doit mourir »
Je m'attendais à un chœur de morts illustres reprenant ce glorieux refrain. Bernique ! J’ai vaguement distingué les mânes du grand Turenne qui avait reçu en pleine tête un boulet de canon après avoir engueulé sa carcasse tremblant sous un déluge d'artillerie. Le Maréchal m'a clairement fait comprendre que le petit Corse, comme il l'appelle, recommençait à dérailler. Ce n'est pas qu'il le déteste - Buonaparte rêvait de lui ressembler - mais cette obsession qu'il a de vouloir être à tout prix le plus grand des Français lui tape sur les nerfs.
- Je crois que sa popularité lui donne la folie des grandeurs, m’a-t-il susurré.
Je me retournais vers Caulaincourt.
- Personne ne chante avec lui, c’est étrange, non ?
- Mon cher, lors des cent jours il était quasiment seul en s’évadant de l’île d’Elbe. A Lyon toute une armée le suivait.
Je n’ai pas osé lui rétorquer que la France d’aujourd’hui était en mal d’idéaux et qu’elle avait perdu ses illusions messianiques. Pour mieux le convaincre je lui ai chanté la chanson de Brassens : « Mourir pour des idées, mais mourir de mort lente »…
Il m’a rétorqué : « On voit mon cher que vous ne connaissez pas l’Emp…Pardon « Le petit Caporal ». Il va leur interpréter le chant des canuts, vous connaissez, et le tour sera joué :
- Euh, oui, mais c’est un vieux chant et de vieilles paroles.
- N’est-ce pas avec les vieilles recettes qu’on fait la bonne soupe ?
- Je croyais que c’était dans les vieux pots.
- Vieux pots, vieilles recettes, qu’importe, l’important c’est qu’ils y viennent… A la soupe !
Et après un instant de réflexion, il ajouta :
- Et vous verrez, ils finiront tous par entonner d’une même voix :
« Caporal nous voilà, devant toi, le sauveur de la France »…
https://www.youtube.com/watch?v=Te2PpgGvxhs