Le ronchon
On peut leur reprocher parfois d’être ronchons
De beaucoup critiquer l’« élite » qui nous gouverne
D’être de temps à autre d’une humeur de cochon
Bref de se comporter comme de vieilles badernes.
Il est vrai que chez eux les survivants sont rares
Presque tous ont des maux qui les font grimacer
Quand on est jeune on ne pense jamais que plus tard
D’insidieuses douleurs viendront nous tracasser
Heureusement qu’ils étaient d’humeur peu soucieuse
Quand ils couraient le monde en quête d’informations
Pour être les témoins de ces confrontations
Qui se soldaient souvent par des tueries affreuses.
La guerre n’est jamais belle. Même vue du bon camp
Elle revêt des aspects terriblement choquants.
Je revois encore ce petit gavroche kurde,
Qui était si joyeux, connaître une mort absurde
En sautant sur une mine, là, juste devant moi
Comme pour m’éviter de mourir à sa place.
Cela prit cinq minutes avant qu’il ne trépasse
Et que ses grands yeux tristes n’aient plus aucun émoi
La mort ayant éteint leur si douce lumière.
Ma mémoire déborde de vaillants combattants
Que les balles des tanks fauchaient en plein élan
Ou qu’embrasaient les pluies de napalms incendiaires
Pour se lessiver l’âme de toute ces horreurs,
De retour à la ville on aimait faire la fête
On trinquait à la vie, se couchait à point d’heure
Et puis on repartait dès l’aube à la riflette.
Quand on revient vivant d’un cruel accrochage
C’est dans les bars d’hôtel qu’on cherche réconfort
Sans penser que l’ivresse peut mener à la mort
Si on n’opère pas un prudent décrochage.
« En bon reporter je serai tué par l’alcool
Et non par les combats » me disait un confrère
Qui succomba ainsi, n’ayant qu’une parole,
Après avoir couvert des dizaines de guerres.
Je suis donc très surpris d’être toujours présent
Moi qui vécus ainsi sans épargner mon foie.
Peut-être a-t-il acquis son aspect résistant
Après un rôdage aux piquettes de Savoie.
Mais j’ai d’autres séquelles dues à cette vie là.
Ces attaques d’arthrose qui me rendent ronchon
Ou mes yeux affectés par la DMLA
Néanmoins je suis prêt à prendre mon balluchon.
Et je repartirai après réparation
Comme une traction avant de dix neuf cent trente six
Qui fut belle en son temps et n’est pas hors service
Pour de nouvelles et alléchantes destinations.
VIVA