Mon respect du jour
UNE MAISON LIBRE
Notre maison ne nous appartient pas, c’est sûr,
Même si nous l’avons achetée pour en jouir.
Tant d’autres avant nous ont vécu dans ses vieux murs
Elle les a tous vus naître et les a vus mourir.
Lorsque je la contemple, « pinquée » sur son rocher
Elle me fait penser à une tour de garde.
Elle est en ce lieu si puissamment accrochée
Qu’il faudrait un séisme pour qu’elle se lézarde.
Si je donne libre cours aux pensées romanesques
Je lui vois, au début, une fonction militaire.
Logeait-elle des vigiles qui observaient la mer
Pour signaler à temps l’approche des barbaresques ?
Elle fut, sans doute ensuite, une maison de pêcheurs
Qui des fenêtres du haut surveillaient leur bateau
Ils embarquaient le soir, rentraient de très bonne heure
La coque débordant de sardines ou maquereaux.
Les familles grandissant, d’autres habitations
S’accolèrent entre elles pour former un quartier.
Puis le poisson manqua et cette raréfaction
Contraignit des pêcheurs à changer de métier.
Dans la culture des fleurs ils devinrent journaliers
Ou ouvriers pour les parfumeries locales
Beaucoup déménagèrent, et ont vite oublié
Ces ruelles qu’on peint sur les cartes postales.
Aujourd’hui Antibes ne produit plus de fleurs
Sur les anciennes restanques de la route de Grasse
S’étalent des constructions d’une grande laideur
Presque toutes dévolues au commerce de masse
Dans la vieille ville ce sont des investisseurs
Qui rachètent souvent la plupart des demeures
Pour, via AIRBNB, les louer aux visiteurs
Attirés par le charme d’un quartier qui se meurt
Notre maison vivra tant que nous, nous vivrons
Forte de ce passé qui imprègnent ses murs.
Et puissent ceux qui tôt ou tard nous succèderont
Ne commettre avec elle aucune forfaiture.
Regardez là, elle a conservé à son âge
Une solidité et de beaux avantages.
Dans la roche a poussé l’étrange micocoulier
Qui se tient à sa droite comme un preux chevalier.
Vivaaa !
JB