Ma pensée du jour
L’homme qui…
Comme dans le chef d’œuvre de John Ford, je suis l’homme qui…
Oubliés mes quarante cinq années de carrière,
Les plus risqués de mes reportages de guerre
Et tous ces mois passés dans de lointains maquis.
Quand on me reconnaît, ce qui est plutôt rare,
On me dit aussitôt « Ah oui, vous êtes l’homme qui »…
On pourrait être flatté d’être pris pour James Stewart.
Ce très grand acteur n’avait rien de riquiqui,
Sauf dans ce film là où, gauche et ingénu,
Il eût été tué si John Wayne n’avait pu
Trucider Liberty Valance sans être vu
Laissant au jeune niais cette gloire imprévue
Qui le conduira au siège de sénateur.
Même dans la clinique où mon pauvre QI
Lors de l’anesthésie s’assoupissait sur l’heure
J’entendis un infirmier dire : « c’est l’homme qui »
Eh oui, pour mon magazine, un jour, sur le tard,
Nous avons trouvé la planque d’Escobar
Et j’ai interviewé le truand colombien
Au nez et à la barbe des flics américains.
Pour nous ce n’était pas réellement un record,
Un beau coup, c’est certain, mais bien moins important
Que d’avoir rejoint les rebelles d’Afghanistan
Ou les peshmergas Kurdes pour partager leur sort.
Bref, mon nom reste lié à celui d’Escobar
Et loin d’en être fier, j’en ai même plutôt marre.
Toute ma carrière de journaliste de terrain
A été gommée par ce cruel malandrin.
« Cet homme qui » déprécie l’homme que j’étais vraiment
Et qu’hélas je ne peux plus être maintenant.
L’âge disqualifie même les bourlingueurs
Mais bon dieu ! J’en ai fait, sur terre, des longueurs!
Vivaaaa