Ma sœur s'en est allée. Souvenirs de notre enfance en Savoie...
Ma sœur…
Trouverai-je les mots pour exprimer ma peine ?
Mon ami de toujours, il y a si peu de temps,
Est parti sans attendre l’arrivée du printemps.
Et voici que ma sœur vient de faire de même..
Elle disait que j’étais comme son « presque jumeau »
C’est vrai qu’on était proches. Elle était mon ainée
Mais uniquement d’une toute petite année
C’était elle la meneuse quand nous étions marmots.
Je nous revois courant dans les prairies en fleurs
De Saint jean d’Arvey. Comme mus par un sortilège,
Nous allions contempler les eaux pleines de fureur
De la Leysse grossie par la fonte des neiges.
D’en haut retentissait la voix fort angoissée
De notre mère et celle plus rugueuse de notre père
Dont l’accent de Marseille cachait mal la colère
Et laissait présager une cuisante fessée.
« Paulette ! Jeannot ! » « Tais-toi ! On les laisse crier»
M’enjoignait ma sœur avide de profiter
De ces instants magiques de grande liberté
En ce lieu plein de bruits et d’odeurs, magnifié
Par un soleil qui éclaboussait de mille feux
Les vertes frondaisons, l’écume du torrent.
Les gouttes de rosée brillantes comme des diamants
Dans un survol d’abeilles aux vrombissements joyeux.
On ignorait encore les prières des églises
Et qu’un autre paradis existait dans le ciel.
Ce jour là, inoubliable fut notre surprise
D’en avoir trouvé un, si proche et si réel.
Un tapage d’oiseaux vibrait dans la campagne
Il couvrait les appels de nos parents anxieux
Mais dans nos hautes herbes même la ronde montagne
Qu’on nommait le Penay, se cachait à nos yeux.
Nous étions somnolents, silencieux et béats
Comme deux fœtus flottant dans le placenta.
On nous découvrit tard. Nos parents bouleversés,
Fous de joie, ne songèrent même pas à la fessée.
Au début de la guerre le sort nous sépara.
Dans un orphelinat chacun se retrouva.
Elle était chez des religieuses plutôt aimantes
Et moi chez des mégères pas du tout conciliantes
Qui nous privaient de tout. Nous avions toujours faim.
Chaque dimanche à l’église de Saint Alban Leysse
J’entrevoyais ma sœur à l’heure de la messe
Qui m’offrait en cachette ses tartines de pain.
Nos parents nous reprirent durant l’Occupation
A Chambéry, dans un quartier très populaire,
Où « Madame l’Etoile », le surnom de ma mère,
Tenait une gérance d’alimentation.
Ici, les filles ne voulaient pas se démarquer.
Beaucoup participaient à nos « mâles » algarades,
Nos batailles rangées, nos rudes escapades.
On disait de ma sœur : « C’est un garçon manqué ».
Puis à la puberté notre corps se transforme
Et on suit les penchants qu’il va nous nous imposer.
Etre femme au foyer était-ce vraiment la norme
Pour celle qui, à l’audace, était prédisposée ?
J’ai baroudé pour deux en pensant fort à elle
Sachant qu’à travers moi elle s’évadait aussi.
Sa vieillesse solitaire l’a beaucoup endurcie
Mais elle sut conserver une fierté de rebelle.
Aujourd’hui je revois une blonde gamine
Guettant dans une église l’instant le plus propice
Pour m’offrir en cachette de modestes tartines
Qui sont restées pour moi un éternel délice.
JB