Ma sœur s'en est allée en plein confinement et depuis, elle revient dans ma pensée presque chaque jour et je revis alors avec elle mentalement les moments heureux de notre enfance. (après l'intrusion malvenue d'une pub)
Tu vis en moi
Elle est partie juste avant mon anniversaire
Ma sœurette qui était de un an mon ainée.
Elle était si aimante et avait tant pour plaire
Que je la crus promue à une belle destinée.
Elle avait la blondeur des filles de Venise
La rustique beauté des filles de Savoie.
A l’école elle était plus studieuse que moi
Et du français avait une grande maîtrise.
Elle jouait du violon, connaissait le solfège
Et au petit conservatoire de Chambéry
Pouvait de son archet faire jaillir des arpèges
Quand le mien n’émettait que d’horribles hourvaris.
Nous avions douze mois de différence, à peine.
Elle me considérait comme son presque jumeau
Physiquement, c’est sûr, c’est moi qui avais les rênes
Mais mentalement c’est elle qui avait le dernier mot.
Ma mère, à juste titre, la trouvait plus à même
De recevoir un enseignement secondaire
Que moi, le champion de l’école buissonnière,
Attaché à la place d’antépénultième.
Eh oui, il y avait un plus cancre que moi
Dans ce classement scolaire d’une juste sévérité
Qui sanctionnait alors le manque d’assiduité
D’un gamin plus porté à explorer les bois.
Ma sœur aurait pu suivre de bonnes études
Devenir enseignante ou, qui sait, virtuose…
Mais née dans un milieu où la vie était rude
Elle ne put espérer une destinée grandiose.
Dès ses quinze ans elle fut employée de maison
A la Celle Saint Cloud, banlieue chic de Paris
Chez des gens qui l’aidèrent à faire une formation.
Elle devint secrétaire, se trouva un mari.
Elle mena alors une vie de mère au foyer
Puis s’occupa d’un époux valétudinaire.
Si elle avait grandi chez des privilégiés
Ma sœur aurait pu faire une belle carrière.
Ma vie fut plus prenante, à quoi bon le nier ?
Mais j’avais eu le bonheur de naître garçon
Et à quinze ans je n’étais donc pas prisonnier
D’un système qui, aux femmes, bridait les ambitions.
Quand ses fils furent grands, que son mari mourut
Ses dons d’adolescente avaient tous disparu
Elle écrivait toujours, sans faute de grammaire
Mais n’avait plus rien qui sortait de l’ordinaire.
Ces virtualités avaient été broyées
Dès l’adultat, atteintes par cette société
Où les femmes du peuple ne pouvaient déployer
Aucune vertu autre que la maternité.
Ô Paule, tu t’es éteinte en plein confinement
Et je n’ai pu aller à ton enterrement.
Ce départ si discret, disons à la sauvette,
A blessé mon vieux cœur et aujourd’hui m’entête.
Te savoir vivante me rassurait beaucoup.
Tu étais le dernier témoin de cette enfance
Où tu me nourrissais de ton intelligence
Et où je t’entraînais dans mes quatre cents coups.
Je sais, tu me suivais dans tous mes reportages
Car à travers moi tu t’évadais des routines
Jusqu’à délaisser bien souvent ton ménage
Pour m'accompagner dans mes missions clandestines.
Moi, ton presque jumeau, le cancre de notre enfance
Je t’entrainais en rêve dans mes jeux d’autrefois
Toi qui étais studieuse, moi qui courais les bois,
Où es-tu grande sœur ? J’ai mal de ton absence.
JB