La mort très récente de Douch le bourreau Khmer rouge m’a inspiré ces vers qui tentent de comprendre comment se fabriquent des archétypes de tueurs de masse convaincu d’œuvrer dans l’intérêt de leur cause. ( après l’intrusion de la pub)
Bourreau par conviction
C’étaient au départ des hommes très ordinaires
Qui n’auraient pas fait de mal au moindre diptère
Ils seront révélés par une foi doctrinaire
Dans des idéologies haineuses et sectaires
Le premier était Rudolf Höss, le commandant
D’Auschwitz. Il eut une enfance pieuse et soumise.
Sa mère voulait le destiner à la prêtrise
Il eût sans doute été un curé convainquant.
A la mort de son père il devient militaire
Et en 14-18 il combat en Orient
Il termine la guerre avec une croix de fer
Il est sous officier et n’a que dix sept ans.
C’est alors que Rudolf qui aimait les animaux
Plus que les jeunes gens de sa génération –
Cet être renfermé, en manque d’exaltation –
Fut attiré par de pernicieux idéaux.
Il s’engage dans le « corps franc » un groupe extrémiste
Qui dans le pays fait la chasse aux communistes
Il en tuera même un et sera condamné.
Vite libéré il rejoint le camps des damnés.
Le voici donc nazi et puis bientôt SS
Vénérant le führer, et Himmler son patron
Il exécute les ordres sans poser de question
Se montre indifférent aux pires des détresses.
En tant que commandant d’Auschwitz il se révèle,
N’est pas conscient d’être un monstrueux criminel.
Il n’élimine pas d’hommes, seulement des « unités »
Et veut être le meilleur dans sa spécialité.
Il a, il en est fier, un rôle prioritaire
Dans la « solution finale » qui lui est confiée
C’est un « épurateur » auquel peuvent se fier
Le parti et son chef qu’il tient à satisfaire
Himmler veut qu’il accroisse la productivité
En gestionnaire fidèle il va s’exécuter
Sans jamais se laisser atteindre par le remords
C’est un chef d’entreprise. Son travail, il l’adore.
Quand les odeurs atroces incommodent sa famille
Il incrimine le vent qui rabat les fumées
De son usine, mais ce ne sont que peccadilles
Auxquelles, pour être rentable, il faut s’accoutumer.
Rudolf Höss jette sur nous une terrifiante ombre.
Ce monstre si normal soucieux de faire du nombre
Et de tuer chaque jour plus d’humains que la veille,
Chez qui ses gènes atroces peuvent-ils être en sommeil ?
C’est au Cambodge qu’il va avoir son épigone
Dans un jeune Sino-khmer, frêle de sa personne
Qui verra le jour en mille-neuf-cent-quarante-deux
Dans un famille de paysans impécunieux.
Kang Kek Ieu, c’est son nom. Sans être asocial
Il n’est pas très liant et manque de certitudes
Il passe son bac après d’assez bonnes études
Et sera prof de math dans sa province natale.
A en croire ses élèves, il était estimé
Mais au fil des années, il va se transformer.
Il changera son nom et s’appellera Douch.
Sa voix deviendra dure, son regard plus farouche.
Höss était nazi. A droite rien n’était pire.
Douch, lui, devient Khmer rouge, une gauche assurément
Marxiste et maoïste : un label qui inspire
A l’époque, chez nous, de troubles engouements.
En mille-neuf-cent-soixante-quinze ils prennent le pouvoir
Après avoir battu les troupes de Lon Nol
Lequel a renversé Sihanouk avec l’espoir
Que le peuple cambodgien le suivrait sur parole.
Or, comme il parle peu, il ne peut le séduire
D’autant qu’il n’a jamais de grandes choses à dire
Il renverse avec l’appui de la CIA
Une monarchie inquiète qui va de hue à dia
Sans son prince, le peuple se sentant orphelin
Ecoute ceux qui lui promettent d’heureux lendemains.
Les Khmers rouges affirment qu’ils aboliront l’argent
Certains pauvres trouvent ce projet des plus alléchants.
Quand ils prennent Phnom Penh les petits soldats noirs,
En casquette Mao, et en foulard krama,
Ils infligent à la ville un terrible trauma
Qui reste encore gravé dans toutes les mémoires.
Au nom d’un dogme prônant le retour à la terre
Toute la population fut chassée des maisons
Les réticents étaient tués sans discussion
Les autres tel des zombies marchèrent vers les rizières.
Il en mourût des milliers durant cet exode.
Certains s’épuisèrent dans d’'exténuants labeurs
Les cadres du parti triaient avec méthode
Ceux qui seraient confiés à des « épurateurs ».
Ici la seule règle était l’obéissance
A des principes sans poser la moindre question
« L’homme nouveau » devait passer par cette soumission
Pour accéder à une collective existence.
Les intellectuels avaient beaucoup à craindre
Et c’est pourquoi ils se gardaient bien de se plaindre
Tous ceux que dénonçaient fourbes et délateurs
Etaient brutalisés et abattus sur l’heure
Revenons donc à Douch qui a cessé d’exister
Il doit au dogmatisme son image repoussante
Sa prison à Phnom Penh que l’on peut visiter
Est un musée qui éveille notre épouvante.
En un mot tous les dogmes, toutes les doctrines
Présentent un grand danger. Il faut qu’on s’en vaccine
Car ils peuvent engendrer de graves déraisons
Chez les gens convaincus d’avoir toujours raison.
JB
A lire, si vous ne l’avez pas encore fait « La mort est mon métier » de Robert Merle Un livre qui dépeint de façon magistrale la psychologie de Höss. Il nous laisse sans voix