Réminiscences afghanes.
A Manu mon neveu et à mes petits enfants.( après la pub qui s'incruste)
La dernière montagne…
Nous marchions depuis des jours, que dis-je, des semaines,
Sous des hélicoptères en quête de cibles humaines
Dans d’étroits défilés, sous les sommets farouches
Qui couronnent le puissant massif de l’Hindou-Kouch
Nous marchions à l’abri des cèdres déodar.
Ces géants d’un beau vert à la prestance antique
Faisaient fulminer les pilotes soviétiques
Qui en rasant leurs cimes mitraillaient au hasard.
Nous marchions de nuit, vêtus de sombres toiles
Dans des plaines pierreuses aux reliefs diffus
Redoutant de tomber sur des chars à l’affût
Comme des pachydermes tapis sous les étoiles.
Nous marchions, que dis-je, nous grimpions
Sur le flanc de montagnes aux crêtes enneigées.
Tels des chamois, nos guides montaient d’un pas léger
Loin devant nous qui au moindre effort suffoquions.
L’hypoxie sur les hauteurs nous coupait les jambes
Assis, nous attendions que se calment nos cœurs
Tandis que les Afghans effrontément ingambes
A chaque col franchi dansaient avec ardeur.
Nous parvînmes dans une gorge qui comme une déchirure
Laissait apparaître un firmament constellé
Elle déboucha soudain sur une vaste vallée
Qu’au loin une montagne clôturait comme un mur.
Conformément au pacte qui nous avait liés
Nos guides nous quittèrent, la mine fort anxieuse,
Les Russes surveillaient, avec des tribus alliées,
Cette zone frontalière réputée dangereuse.
Des villages se signalaient dans la plaine obscure
Par les faibles lumières jaunes qui sortaient des masures.
Malgré les sourds grondements de tanks en patrouille,
Nous devions avancer et nous avions la trouille.
En face, derrière les monts, se trouvait la frontière
Mais il allait falloir marcher à découvert
Les quatre plus vaillants partirent en premier.
Et peu après je suivrai avec Olivier.
Tous deux étions dans une situation critique
Lui souffrait d’une sourde affection hépatique
Moi, à force de marcher, d’un abcès mal placé.
Ralentir toute l’équipe eût été insensé.
Nous avons insisté pour qu’ils partent sans retard
Et nous attendent de l’autre côté de la vallée.
Avec nos hardes puantes, notre laisser-aller
On nous prendrait pour de misérables clochards.
Que pouvaient inspirer d’autre nos turbans crasseux,
Nos barbes broussailleuses, nos salwars loqueteux.
Du dégout c’est certain, peut-être de l’émoi
Sous nos « Stalimaché » (1) bredouillés à mi-voix.
C’est ainsi, que trainant la patte, nous traversâmes
Tant de villages fantômes où des milliers d’âmes –
Abandonnant leurs rues à des guerriers rebelles
Dès le soleil couché – s’étaient terrées chez elles.
De lointaines rafales et des déflagrations
Troublaient un silence bruissant et plein d’odeurs.
Nous marchions en étant tenaillés par la peur
Mais personne n’osait s’approcher de nos haillons.
La montagne parfois nous paraissait vraiment proche
Et malgré la fatigue nous allongions le pas
Mais on la sentait reculer à notre approche,
A croire que nous accueillir ne l’enchantait pas !
Cette illusion d’optique nous eût sans doute ôté
Les sursauts d’énergie que fournissaient nos corps
Si nous n’avions pas vu une lumière clignoter
Tout là-bas sur les monts de cet obscur décor.
L’espérance revint. Oubliées nos douleurs
Malgré des blindés qui braquaient leurs projecteurs
Au hasard dans le noir et malgré nos faiblesses,
Nous filâmes comme des elfes débordant d’allégresse.
On ne s’attarda pas quand on les eut rejoints
Les crêtes devaient être atteintes avant l’aurore
Et une rude escalade nous attendait encore
Or Olivier et moi étions fort mal en point.
Hagards comme des zombies nous parvînmes tout là-haut.
Sous les lueurs de l’aube, nous nous sommes embusqués
Dans un vieux temple bouddhiste transformé en mosquée
Où je tombai tel un gisant sur son tombeau.
Et pendant que j’étais plongé dans le néant
Mon abcès se vida alors abondamment.
Quand mes yeux se rouvrirent, je sentis avec joie
Que mes forces, de nouveau, étaient présentes en moi.
Olivier, lui aussi, après un lourd sommeil
Constata que sa vigueur était en éveil.
Et sur la sente qui menait à la frontière
Nous marchâmes en tête, d’une démarche fière
VIVA ! JB
(11) Salutation en langue pachtoune.