Le camp des assassins

Souvent, je dois l’avouer, Bernard Guetta m’énerve. Je le trouve un peu trop pontifiant et partial. Avec lui les occupants d’Alep qui se servent de la population civile comme bouclier humain ne sont pas des fanatiques de Daech qui ont allègrement massacrés, chrétiens, kurdes, yésidis, alaouites et laïcs arabes, mais des insurgés. Oui, oui, il les appelle des insurgés, de pauvres insurgés victimes de la folie sanguinaire des armées syriennes et des Russes.

Le voici, soudain, qui sent poindre en lui une inspiration de prophète et allègrement vaticine. Les descendants des futurs vaincus prédit-il, se vengeront. Or ces futurs vaincus, au cas où vous ne le sauriez pas, oui, tous ces hirsutes barbus bourreaux de Daech, sont des sunnites. Voici notre éditorialiste - dans une vision apocalyptique à faire frémir d’épouvante les auditeurs de France Inter en train de boire leur café du matin - s’attacher à prédire une vengeance de tous ces survivants sunnites victimes de la minorité chiite alaouite, des combattants chiites du Hezbollah, d’un corps de miliciens chiites d’Iran. Etrange tout de même que pour cet analyste réputé avisé, il n’y ait que des victimes sunnites et des persécuteurs russo-chiites. Faut-il lui rappeler que les émirats sunnites du Golfe, Arabie Saoudite en tête, mènent, avec l’appui des Etats-Unis, une guerre sans merci contre le pauvre peuple chiite du Yémen ; que ces mêmes émirats ne tolèrent chez eux aucune opposition, aucune autre religion que la leur, opprime les femmes, et par le truchement de leurs créatures devenues incontrôlables (Al Qaïda et Daech) ont, avec la complicité sournoise de Washington et de Tel-Aviv, plongé la Mésopotamie, vieille terre de culture, dans un invraisemblable chaos. Le drame que vivent aujourd’hui les populations de Mossoul ou d’Alep, c’est eux qui l’ont généré, eux qui ont cru pouvoir effacer la Syrie et l’Irak de la carte pour les transformer en zones vassales sans réelle structure étatique. Et pour y parvenir, quoi de plus efficace que d’effacer les vestiges historiques ? C’est ce qu’ont tenté de faire les décérébrés de Daech en minant la cité de Palmyre ou en saccageant les sites assyriens dans le nord de l’Irak.

Non, Monsieur Guetta, les chiites ne sont pas des démons et les sunnites ne sont pas des brebis expiatoires. Pour l’heure les massacreurs se réclament essentiellement du sunnisme et il est bien évident que cette maudite vermine se refugie au cœur des villes, dans l’espoir que les dégâts collatéraux ameuteront l’opinion publique mondiale et la dresseront contre ceux qui veulent définitivement l’empêcher de nuire. Votre édito de ce matin répondait à leur attente. A plusieurs reprises ont été ouverts des couloirs humanitaires pour permettre à la population civile de s’échapper. Pourquoi n’avoir pas écouté ceux qui sont parvenus à le faire ? Que disent-ils ? Que les tueurs de Daech leur tirent dans le dos pour les dissuader de fuir. Ça, c’est la réalité, une réalité cruelle, insupportable, mais pas au point tout de même de nous amener à confondre les massacreurs et ceux qui les combattent. Assad est un dictateur c’est certain. Néanmoins sous le règne laïc du père et du fils, avant que les faiseurs de monstres engendrent leurs créatures malévoles, causes de tous les malheurs actuels, les minorités religieuses étaient respectées, les libertés de culte assurées et les femmes pouvaient s’afficher sans voile. Je veux bien admettre, Monsieur Guetta, que votre émotion face au calvaire d’Alep ait pu vous faire perdre le sens des réalités. Reprenez-vous que diable ! Si une telle attitude de votre part devait perdurer, ce ne serait plus de l’émotion mais un choix politique et en tant qu’ancien journaliste, moi même,  j’aurais bien du mal à admettre que vous ayez opté sciemment pour le camp des assassins.