L’ami et confrère Chistian Brincourt ,connu par beaucoup d'entre vous, qui commença sa carrière de grand reporter à RTL et la poursuivit sur TF1 tout en collaborant souvent avec Paris Match prépare un livre sur notre métier. Il m'a gentiment demandé d'écrire un petit texte sur ma propre expérience. Je l'ai fait mais en alexandrins estimant que les vers nous obligent à aller à l'essentiel sans nous attarder sur de trop narcissiques détails. Ce texte est accompagnée de photos que j'ai prises durant la guerre du Vietnam et au Kurdistan : images souvenirs des deux très grands leaders Kurdes d’Irak et d’Iran aujourd'hui disparus que j'ai eu l'honneur d'avoir pour ami : Mollah Mustafa Barzani et Abdul Rahman Ghassemlou.
Nous, les butineurs…
Bien des sots ont tendance à mettre dans le même sac
Tous les journalistes : des charognards à l’affût
De possibles scandales ou de troubles micmacs
Qu’ils grossissent à loisir pour faire de grands raffuts.
Ils font de même avec les politiciens :
« Tous pourris ! » clament-ils, rêvant que ce soit vrai,
Et au lieu de trier le bon grain de l’ivraie
Discréditent des fonctions qui comptent des gens bien.
Je hais ces dénigreurs qui salissent le monde
Et postillonnent leur hargne dans chaque discussion,
Mais suis très attiré par les pensées fécondes
Qui mettent en valeur de louables actions.
Comme Christian je fus un homme de terrain
Pas un paparazzi violeur d’intimités,
Pas un bousier vorace qui apaise ses faims
Dans les rejets infects de notre humanité.
Le journalisme comporte de multiples espèces :
Des nuisibles qui flattent nos plus sordides instincts,
Des utiles dont le rôle est loin d’être succinct
Et qui donne au métier ses lettres de noblesse.
Nous, reporters, étions semblables aux abeilles
Mais pas aux maringouins aimant les mêmes lieux.
Nous venions collecter chez des peuples en éveil
Les idées qui soudain les rendaient courageux
Et prêts à endurer l’effroyable carnage
Des balles au bruit de guêpes, des monstrueux moustiques
Qui brillaient dans le ciel d’un éclat métallique
Et piquaient en hurlant sur de pauvres villages
Les guerres nous obligeaient à de périlleux voyages
Dans de lointains pays qui, dès notre plus jeune âge,
Quand nous étions encore écoliers ou potaches,
Nous avaient séduits sur les cartes Vidal-Lablache.
Les noms des capitales étaient comme des appâts
Qui peuplaient nos pensées d’images exotiques.
L’un d’eux me fascinait, il était atypique.
Savais-je qu’un jour j’irais à Tegucigalpa ?
Certes non, cette ville semblait aussi lointaine
Qu’une étoile dans le ciel à l’enfant savoyard.
Quand enfin j’y parvins quarante années plus tard,
Une joie de gamin déferla dans mes veines.
Mais je n’étais pas là, tel un conquistador
Fatigué de porter sa « misère hautaine ».
Non, je venais couvrir la guerre du Salvador
Et n’avais rien à voir avec ces capitaines
Partis pour conquérir de fabuleux trésors,
Sauf peut-être cette envie d’aventure et de joie
Que les cartes d’antan ont imprimé en moi
Avec leurs cités portant des nom sonores :
Saigon, Hué, Hanoï, Baalbek, Damas, Bagdad
Istanbul, Téhéran, Kaboul, Djalalabad
Et tout là-bas dans ce « Nouveau Monde » ancien
Refaçonné jadis par les Européens
Mexico et ses fabuleux vestiges aztèques,
Oaxaca et sa vieille cité zapotèque,
Bogota, Medellin découvert sur le tard
Quand j’ai voulu trouver la cache d’Escobar.
Avec mon équipe de reporters de fortune
Qui servait vaillamment 52 sur la une.
L’interview du célèbre narco-trafiquant
Fit beaucoup plus de bruit que mes missions d’antan.
A mes yeux, ce sujet était moins important
Que ceux sur le Vietnam et sur l’Afghanistan
Ou que ma traversée nocturne du Jourdain
Avec un commando de jeunes Palestiniens.
Les conflits tourbillonnent dans nos vieux souvenirs
Avec leurs hécatombes, leurs peuples assujettis,
Leurs villes dévastées, leurs armées de martyrs
Dormant sous le béton de quartiers rebâtis.
Le public évolue. Ses goûts ont changé.
Les justes causes, en baisse, ne font plus trop recette.
C’est pour elles, jadis, qu’on bravait les dangers
En passant bien souvent les frontières en cachette.
Les Kurdes ont fait de moi un marcheur endurant
Qui par des sentes rudes frôlant des monts farouches
Rejoignait des vallées entre Irak et Iran
Qui ressemblaient à celles lovées dans l’Hindou Kouch.
Je fus l’un des premiers à conter leurs combats
Par l’image et la plume dans de nombreux médias.
A l’époque le public ne les connaissait pas.
Aujourd’hui tout le monde admire les peshmergas,
Car d’autres reporters s’y sont intéressés.
Nous allions butiner dans les secrets maquis
Où se cachaient des peuples qui avaient été conquis
Pour rapporter, chez nous, leurs appels oppressés.
Je suis sûr que Christian se rappelle les cartes
Qui nous faisaient rêver tout près du tableau noir,
Qu’enfant il s’est dit aussi : « il faut que je parte,
Il y a sur notre planète tant de choses à voir » !
Si nous étions plus jeunes, allez ! La cinquantaine,
Nous ne résisterions pas aux appels du Yémen
Que l’on entend si peu, par ici, de nos jours.
A croire que nos pays sont tous devenus sourds.
Autres temps, autres mœurs. Nous les vieilles abeilles
N’avions ni satellites, ni téléphones mobiles
Accrochés à nos basques, collés à nos oreilles,
Pour mettre des limites à nos envols fébriles.
Tout va vite aujourd’hui. Veut-on tous être à l’heure
Pour se sentir pressé sans trop savoir pourquoi ?
C’est parce que nous étions adeptes des lenteurs
Que cette vocation nous offrit tant d'émois.
JB