IL ETAIT CELUI-LA….
L’Homme archive
Il n’en restait qu’un seul. Il était celui là
Le dernier Indien libre à ne pas être mort
Massacré par les Blancs de la ruée vers l’or
Qui surgissaient en masse de l’Arizona.
Les grandes tribus indiennes ayant vaincu Custer
L’armée les pourchassa, aidée par des colons
Qui, faute d’or, voulaient acquérir de la terre
Et étaient pour ça prêts aux pires exactions.
Dans les criques sauvages de Californie
Où l’or étant plus rare qu’on ne l’avait prédit
Ils chassaient l’indigène comme on chasse le gibier
Les femmes et les enfants n’étant pas épargnés.
Une tribu Yahi farouche et entêtée
Se cachait pour pouvoir vivre en toute liberté,
Cela depuis toujours. Campant près des cours d’eau
Elle n’avait jamais domestiqué les chevaux.
C’était une peuplade de chasseurs cueilleurs
Qui fuyait le contact du monde extérieur.
Quelques uns de ses membres furent aperçus, parfois,
Par des prospecteurs qui s’écartaient des convois.
On prêtait aux Indiens les pires turpitudes.
Les chasser devint une excitante habitude.
On les traqua partout, jusqu’au moindre ravin.
L’horreur dura jusqu’en mille huit cent quatre vingt.
Là, les tueurs qui œuvraient avec de gros calibres,
Faute de cibles nouvelles, furent tous convaincus
Que des Yahis vivants, il n’y en avait plus.
Qu’ils avaient liquidé les derniers Indiens libres.
Mais en aout mille neuf cent onze apparut soudain
Dans un corral proche d’un bourg californien
Un Yahi affamé, accablé par le sort,
Qui se rendait aux Blancs pour être mis à mort.
Les temps avaient changé, on ne le tua pas.
Le sheriff du comté dans une geôle le logea.
La presse fut informée et par elle la science.
Un grand savant voulut faire sa connaissance.
Et Ishi fut transféré à San-Francisco
Au Musée réservé à l’anthropologie.
Il trouva un accueil et aussi un logis
Et connu un succès formidable illico.
Il avait survécu aux massacres indicibles,
Vu tomber sous les balles ses plus proches parents
Et sut se ménager des caches invisibles
Qui lui permirent de vivre, sans être vu, TRENTE ANS,
Libre et seul, se terrant à l’approche des Blancs.
Cet exploit incroyable le rendit sympathique.
Dès qu’il apparut, il défraya la chronique
Et connut d’emblée un succès époustouflant.
Il ne fit pas que passionner les scientifiques
Il enchanta les enfants, conquis le grand public
En fabriquant des arcs et autres artéfacts
Qui avaient sur les gens un incroyable impact.
Les visiteurs admiraient sa dextérité.
On accourait de très loin pour le visiter.
Il était l’homme archive d’un passé effacé
Qui réapparaissait avant de trépasser.
Il a appris l’anglais pour mieux communiquer
Et soucieux de ne pas passer pour un sauvage
S’est vêtu comme un Blanc sans jamais abdiquer
Sa culture Yahi qu’il offrait en partage.
Il accomplit cette tâche avec grâce et douceur,
Sut d’instinct attendrir et faire battre les cœurs
Des curieux qui, venus pour voir un phénomène
Repartaient bouleversés et surtout plein de gêne.
Ils avaient des Indiens de fausses connaissances
Apprises dans l’histoire officielle des vainqueurs
Ishi fut le moteur d’une reviviscence
Qui remettait soudain les pendules à l’heure
Son organisme ne s’adapta pas à cette vie
Sans anticorps pour résister aux endémies
De la tuberculose il fut vite la proie
Mais Ishi en mourant nous a laissé SA VOIX.
On peut encore l’entendre si on veut aujourd’hui.
C’est une voix qui chante comme on chantait Homère
Quand faute d’écriture on scandait tout en vers
Ishi, lui, nous fredonne l’épopée des Yahis.
Il est mort en 1916, deux ans après le début de la première guerre mondiale
JB
Ishi le dernier Indien libre (rappel)
A propos du poème qui précède, je me permets de préciser que Ishi le Yahi ne se serait probablement jamais rendu aux Blancs si sa cache savamment dissimulée sous un lit de broussailles n’avait pas été découverte par des employés d’une compagnie d’électricité qui plantaient des poteaux pour établir l’une des premières lignes dans cette région de Californie.
Très étonnés ils s’étaient empressés de s’emparer de tout son équipement de pèche et de chasse afin de le montrer à leurs copains. Ils avaient vaguement entendu parler d’un indien libre, survivant des massacres, gitait dans les parages. Ils s’empressèrent de faire part de leur découverte au journal local. L’information fut reprise par les grands quotidiens de San Francisco. Elle parvint aux oreilles du professeur en anthropologie de l’université de Californie, Alfred Louis Kroeber.
Lorsque Ishi accablé par la disparition de tout son équipement et affamé – le gibier trop chassé par les Blancs devenant de plus en plus rare – décide d’aller au devant de sa mort en se rendant à Oroville, le bourg le plus proche, la population est déjà plus ou moins informé de son existence. Les shérifs de la région ont été alertés par l’équipe de Kroeber, que s’ils venaient à le capturer, de prendre bien soin de cet Indien qui était sans aucun doute « le pur survivant des « Native Américains » vivant dans cette contrée californienne depuis au moins 4000 ans, le spécimen le plus authentiquement aborigène et primitif de tout le continent américain »
Dès que la nouvelle de sa reddition fut connue Kroeber envoya son adjoint, le professeur Thomas Waterman, à Oroville pour prendre livraison du captif. C’est ainsi que Ishi, quatre ans avant d’être vaincu par la tuberculose, fit son entrée dans la civilisation des envahisseurs victorieux qui en quelques siècles à peine avaient submergé l’Amérique.