Il y a deux jours l’ami Jean-Claude Perpère – L’Aède occitan – dont l’imagination poétique qui lui vient des hauteurs de son Ariège natale et qu’affûte un vocabulaire d’une rare richesse, m’avouait au cours d’un déjeuner : « j’ai besoin de thèmes forts ou d’émotions puissantes pour pondre un poème. Toi, tu es capable de nous sortir presque dix quatrains sur une feuille qui tombe ou un brin d’herbe. Ça moi, je ne sais pas le faire ! ». Je me suis demandé si c’était un compliment ou une critique ? J’ai voulu en avoir le cœur net.
Un brin d’herbe
Je ne suis qu’un brin d’herbe. N’ai-je rien à raconter
Qui puisse, dans un poème, mériter quelques vers ?
Sachez que, dans une lointaine antiquité,
Mes ancêtres s’épanouirent dans de fraîches clairières,
Sur une planète recouverte par d’immenses forêts..
Pour les brouteurs, elles étaient des lieux édéniques
Sauf quand le machairodus soudain se montrait
Avec ses dents de sabre qui semaient la panique.
Seuls les mammouths dotés de puissantes carcasses
En se mettant en groupe pouvaient lui faire face.
Aucun autre animal n’aurait osé défier
Ce prédateur féroce le plus qualifié.
Ma mémoire génétique me fait un peu défaut,
Des milliers d’années sans que rien de nouveau
Ne vienne modifier cette biodiversité
Ne m’ont laissé de souvenirs dignes d’être cités.
Puis il est apparu cet étrange mammifère
Qui marchant sur deux pattes n’avait pas l’air très stable.
Proie facile, s’il se déplaçait en solitaire,
Il se groupa en bande pour être moins vulnérable.
Mais surtout, grâce à des doigts souples et maniables
Guidés par un cerveau constamment en alarme
Il a su inventer puis fabriquer des armes
Et devenir le prédateur le plus redoutable.
Il rasa des forêts, en fit des pâturages
Pour des brouteurs qu’il avait domestiqués.
Ce fut pour mes aïeux le plus radieux des âges
Aujourd’hui ce bipède veut nous éradiquer.
Nos espaces sont tous clairement délimités,
Plus question de pousser en toute liberté,
De voir des coquelicots dans les champs de blé
Ou, au bord des cultures, de nous rassembler.
Je ne suis qu’un brin d’herbe victime d’un génocide
Je viens de recevoir une pluie de pesticides.
Demain je serai mort mais méritais, je crois,
Qu’avant de disparaître, on parle un peu de moi.
JB