Le plus doux des voyages
Vers où courent-ils alors que j’y vais à pas lent ?
Il est vrai que j’approche des quatre-vingt-dix-ans
Or, si j’avais, de la force de l’âge, les jambes
Accepterais-je, comme aujourd’hui, d’être moins ingambe ?
Moi aussi je courais quand j’étais encore vert,
J’ai couru très souvent jusqu’à en perdre haleine.
J’ai couru et il me semble que c’était hier,
Alors qu’avec ma canne, j'avance avec peine.
A quoi bon se presser quand au bout du chemin
On retourne à la « non-vie », un funeste destin
Et que le temps qui passe, prompt à s’impatienter,
Voudrait qu’on se dépêche pour nous récupérer.
Mon métier m’a offert d’autres vies dans ma vie.
Quand je parcourais le monde avec insouciance,
En Afrique, en Amérique et dans toute l’Asie,
C’était, à chaque voyage, comme des reviviscences,
Bref, aujourd’hui je ne suis plus un bourlingueur.
Mais un flâneur, peu pressé d’arriver au port,
Doublé par des coureurs concentrés dans l’effort
Qui, en foulées rapides, avancent avec ardeur.
Quand ils me frôlent je me sens comme Mathusalem
Qui vécut, dit la Bible, neuf-cent-soixante-neuf ans.
Qu’importe, ces « lève-tôt » repliés sur eux-mêmes
Qui foncent sur moi comme si j'étais déjà absent.
Mes deux arrière-petits-enfants, en me voyant
Veulent jouer avec moi, comme si j’avais leur âge.
Être vu et aimé d’eux, c’est très réconfortant.
Revenir dans l’enfance, c’est un si doux voyage…
Viva !