L'esprit du loup.

Quand donc parviendra-t-on à faire triompher en nous, la raison du plus sage et non celle du plus fort ? Quand donc l’agneau qui est en nous, caché dans un tout petit recoin de notre cerveau, parviendra-t-il à triompher du « loup » qui, après des millénaires de cannibalisme et de prédations carnassières, s’est acquis dans nos crânes une place impériale ? Dans l’ « Animal humain », Teilhard de Chardin se désolait de constater que, malgré les progrès extraordinaires réalisés par notre espèce depuis son apparition, celle-ci vivait mentalement dans un état infrahumain et sa pensée de jésuite érudit, ne pouvant concevoir le triomphe du mal, se mit à vaticiner. Il annonça l’avènement possible d’une noosphère qui relierait tous les hommes entre eux. Il ne s’est presque pas trompé. Cet avènement est celui des téléphones « androïd » ( IPhone, Samsung, Phillips, etc). Ce n’était certainement pas à cela qu’il songeait ! Ces appareils ne contribuent pas à rapprocher les esprits mais au contraire à les isoler. Si vous croisez dans la rue un usager accro aux mobiles, prenez bien garde de ne pas vous faire bousculer par lui car si vous, vous le voyez arriver de loin, lui, en revanche, les yeux rivés sur son mini-écran ne vous verra pas. Il n’est pas dans la rue, parmi nous. Il est dans le cyberespace, encore plus isolé de ses congénères qu’au temps du prêtre paléontologue, lequel nous fit connaître le sinanthrope, cet homme de Pékin, vieux de cinq-cents mille ans, qui connaissait le feu. Pour avoir osé faire cette révélation en contradiction avec les textes sacrés de l’Eglise, il subit à l’époque les remontrances sévères du Vatican et la mise à l’index (provisoire, heureusement) de ses merveilleux ouvrages qui ont enchanté ma jeunesse.

Le père Teilhard était un humaniste ardent. Il pensait que l’homme, produit d’une évolution extraordinaire, parviendrait après s’être merveilleusement adapté à la biosphère, à transformer son cerveau pour pouvoir se connecter spirituellement à tous les autres afin de bâtir un monde nouveau sans haine et sans violence.

Bing ! L’Androïd fait désormais le boulot à sa place mais hélas pas dans le but souhaité par le prêtre. Les progrès de la science pourraient certes être utilisés pour nous faire prendre conscience qu’étant tous issus de la même terre et d’une cellule initiale commune, nous devrions nous sentir solidaires et bâtir ensemble ce monde fraternel, sans misère et sans animadversion, dont il a rêvé. C’est oublier que cette science pour progresser a impérativement besoin de l’argent des puissants et que ceux-ci, n’ayant pas l’intention de se tirer une balle dans le pied, l’orientent toujours dans la direction qui leur convient le mieux. Le monde qu’ils veulent est celui dans lequel nous vivons, un monde déchiré par des rivalités nationalistes bornées, les intolérances religieuses ou raciales, un monde où pullulent les injustices sociales, et où tant de terriens passent la plupart de leur vie à s’entretuer ; tout ça pour qu’une poignée d’entre eux puissent continuer de vivre dans le luxe insane d’un paradis terrestre qu’ils se sont arrogés pour eux seuls. Oui, c’est l’esprit du loup qui mène le monde, pas celui des vrais loups, bien moins cruels, mais celui de la fable qui habite en chacun de nous, et tant que l’agneau aura peur de lui, il continuera ses malfaisances. Pas simple de faire de ce petit être fragile replié dans un recoin de notre matière grise, un résistant. C’est pourtant cette révolution mentale qu’il nous faudrait accomplir pour vaincre en nous cet instinct de domination hérité des temps sauvages.